Michèle Adam exerce des fonctions de Cadre éducatif à la Protection Judiciaire de la Jeunesse sur la Juridiction de Saint-Nazaire. Elle anime une équipe pluridisciplinaire de 15 personnes qui ont pour mission de mettre en œuvre un accompagnement pour des mineurs et jeunes majeurs qui sont sous- main de Justice. L’équipe exerce également des Mesures Judiciaires d’Investigation éducative pour enfants en danger. Elle a rejoint récemment notre association et nous partage son expérience.

Responsable de l’Unité Éducative de la protection judiciaire de la Jeunesse à Saint-Nazaire, depuis 4 ans je m’appuie sur le management coopératif pour animer mon équipe ; J’essaye de tendre vers la Sociocratie. En effet au cours d’une formation sur le Théâtre Forum l’équipe de Yanis Camus (Alter Ego) m’a sensibilisée à ces pratiques et à « cette culture ».

A la veille de ma cessation d’activité professionnelle je fais le constat de ces dernières années et réfléchis à mes objectifs à venir car j’ai le sentiment de ne pas être allée au bout.

Quelques mots clés :

  • Groupe : la dynamique groupale se développe à tous les niveaux : équipe pluridisciplinaire ( assistante sociale, psychologue, professeur technique, adjointe, éducateurs, volontaire de Service civique, stagiaire et Responsable), collectifs construits à partir du public autour d’une action ou une activité ( jeunes et parents), partenariat local ( très riche et très opérationnel) : Education Nationale, Médiateurs, police Nationale, police municipale, Maison des adolescents, Prévention des risques addictifs, Mission locale, maisons de Quartier, SPA…
  • Plaisir : le plaisir a sa place tant au niveau de la convivialité que de la mise en projet de ce que l’on aime faire et de ce que l’on a envie de transmettre, de développer, de ses ressources personnelles . La reconnaissance et la publicité de ses réalisations (cf. notre petit journal) sont aussi stimulantes.
  • Sécurité psychique : Chacun ose dire ce qu’il pense et penser comme il est sans risque de jugement même s’il est seul à penser différemment que le groupe. Il n’y a pas de bouc émissaire ; pas de clan ; l’idée isolée peut venir bousculer les autres points de vues et faire émerger la bonne orientation. Le point de vue de l’autre n’est pas perçu comme une contradiction.
  • Sécurité physique : nous côtoyons un public dangereux. Il y a 5 ans, être de permanence était anxiogène ; peur de se retrouver seul. Aujourd’hui tout le monde se préoccupe de la sécurité de chacun. Les agents se proposent spontanément pour organiser des équipes d’accompagnement des jeunes sortant d’incarcération. La Responsable que je suis valide l’organisation. J’assure également le suivi par téléphone des agents qui sont sur la route.
  • Responsabilité : Il y a un Responsable administratif sur l’Unité mais en réalité il y a autant de responsables que d’agents ; Chacun est soucieux de la qualité du Service, de son image, de sa réputation, de sa réactivité auprès des magistrats, de sa constance auprès du public et de son engagement dans ses missions de Service public. Cette responsabilité des agents s’engage aussi dans les remarques qu’ils peuvent faire au N+1 que je suis ; ce n’est pas toujours facile pour moi d’entendre mais ces observations s’adressent à la fonction et de plus c’est moi qui induis cela par mon mode de management. Au bout du compte ils m’aident…
  • Même niveau d’information pour tous les agents : ( sauf en ce qui concerne les situations personnelles)
  • Autonomie : je ne contrôle pas les heures de travail mais je contrôle l’activité.

Les tâches doivent être exécutées en temps et en heure ; après que l’agent arrive à 11h ou parte à 16h cela n’a pas d’importance. Le secrétariat doit être informé ; la moyenne d’heure mensuelle doit être respectée. Selon ce que je perçois le service y gagne. Les agents ne récupèrent pas leurs heures (sauf s’il s’agit d’un long déplacement) car ils savent que si un jour ils ont besoin de temps personnel au cours d’une journée de travail cette disponibilité sera accordée gracieusement (examen médical, nécessité domestique, intempéries, obsèques d’un proche, télé- travail quand on se sent malade mais pas assez pour être en arrêt…). Notre métier ce n’est pas de faire des heures mais d’accomplir des missions.

Chacun est invité à proposer des initiatives dans l’intérêt du service et du public.

Par contre mes décisions de cadre de proximité en matière de sécurité sont incontournables.

Prise de décision : Hors les missions politiques qui émanent de notre administration toutes les décisions de fonctionnement et pédagogiques sont adoptées à l’unanimité par l’équipe après avoir pris le temps du débat nécessaire, puis soumises par mes soins au N+2 qui valide et le notifie dans le projet d’unité. En tant que Responsable je suis donc garante de la décision collective. Ce qui fait qu’il y a moins de résistance. Et lorsque cette décision est contestée car elle n’est plus adaptée, il n’y a pas de quoi faire la révolution contre sa hiérarchie puisque ce n’est pas une décision de la hiérarchie ; Il suffit de se remettre au travail sur le sujet en commission constituée d’agents qui se cooptent ( non désignés par le chef) qui choisissent un animateur et un rédacteur. Le travail de cette commission est alors soumis à l’intégralité de l’équipe. Chacun donne son avis quel que soit son métier. Tout le monde est équivalent sur les temps de débat, d’échange et de réflexion. Tout le monde doit être protégé dans l’expression de son point de vue ; l’unanimité est le but à atteindre. Il est généralement atteint (parfois plusieurs temps d’échanges sont utiles car il est aussi nécessaire d’autoriser le temps de la réflexion ; on n’est pas dans le « qui s’abstient, qui vote contre qui vote pour » et c’est la majorité qui l’emporte).

Il en va de même pour les projets : au départ l’idée nait d’une personne. Puis l’équipe consent unanimement à ce que cette idée se transforme en projet. Certains collègues (y compris la secrétaire, le volontaire de service civique et stagiaire) se cooptent, pilotent, s’organisent (ils désignent leur animateur et leur rédacteur) et rendent compte tous les lundis matin en réunion de l’avancée du projet ; ainsi c’est bien d’un projet d’équipe dont il s’agit ; Il sera porté par tous et aura toutes les chances d’aboutir. Ce qui est le cas depuis que nous fonctionnons ainsi. S’intéresser à ce que fait l’autre c’est s’intéresser à l’autre tout simplement, même si on ne l’aime pas. Car tout le monde ne s’aime pas, ce n’est pas l’Unité des Bisounours mais nous avons appris à vivre au travail ensemble, à nous réjouir et à nous inquiéter de l’autre malgré tout.

Les conflits : sans exagérer je pense qu’il y a au moins un accrochage par jour ; il faut dire que les personnalités sont variées et très affirmées. N’étant ni la mère ni la maitresse d’école de personnes dont la moyenne d’âge frôle les 50 ans je les renvoie à leur maturité ; et comme le reste du groupe n’a pas envie qu’un contentieux viennent perturber un certain équilibre qu’ils apprécient , les agent s’autorégulent . L’humour et la dérision nous aident beaucoup .

 

La convivialité : Nous accordons une grande importance aux arrivées et aux départs (cadeau collectif, collation.)

Tous les ans en septembre nous organisons le café des partenaires (50 à 60 personnes accueillies) ; l’objectif est de leur dire simplement merci !

Suite au bilan du mois de juin nous partageons un repas dans le jardin ; Ce repas est considéré comme un temps de travail. Chacun fait au mieux pour régaler ses collègues et révèle encore un autre aspect de ses savoir-faire .

Petit déjeuner de Noël organisé par moi-même. Galette des Rois organisée avec les greffières et magistrats. Des crêpes en février faites par les agents ; Pâques : je fais la cloche…

Formations : Aucune formation n’est jamais refusée. Le service s’organise pour que l’agent ou les agents puissent se libérer. Chacun restitue sa formation en réunion d’équipe et tient ses documents à la disposition du collectif. De plus en plus les agents essayent de mettre en œuvre sur le service leurs nouveaux acquis au profit des collègues et du public.

Nous privilégions les formations collectives (pour toute l’équipe sans exception) .

A titre d’exemple nous avons bénéficier de 3 jours de formation sur la Laïcité et prévention des risques de radicalisation, 6 jours sur la méthodologie de la Médiation dans un contexte d’enfance en danger, et nous allons bénéficier cet automne de 6 jours de formation sur la Justice Restaurative (nous y convions 8 partenaires) . Le Centre National de Formation qui se trouve à Roubaix se déplace sur site à Saint-Nazaire. Nous serons 25 participants.

Reconnaissance : Mon administration ne semble pas comprendre ma pratique mais ne me questionne pas sur ce sujet . Cependant cette démarche coopérative est très payante pour notre unité. Les résultats de notre activité nous permettent d’obtenir un poste supplémentaire cette année. Trois agents (bientôt cinq) ont obtenu le financement de leur formation individuelle, nous avons obtenu trois subventions pour des projets relatifs à la culture, à la santé et à la citoyenneté ; les trois formations collectives évoquées ci-dessus ont permis un déplacement des organismes de formation sur site (Forsyfa, la Ligue de l’Enseignement et l’Ecole Nationale de Protection Judiciaire de la Jeunesse.)

Tous les projets d’activités ont abouti. En ce qui concerne notre public je me dois d’être réservée (C’est pourtant pour lui que nous faisons tout cela) . Je peux vous dire cependant que les parents et les jeunes ont offerts à mes collègues sur ces dernières années de belles réussites auxquelles on ne s’attendait pas !

Souhaitant transposer cette expérience dans le domaine associatif et le domaine de la vie citoyenne je vous remercie de votre attention et je compte sur votre expertise.

Cordialement,
Michèle Adam