Regard sur le travail – La gouvernance de l’école de la Rize

Qui suis-je ?

Chercheuse, convaincue que la transmission passe en grande partie par l’exemple et par l’expérimentation, j’apprends avec mes clients et je grandis avec mes enfants. Je cultive la co-création, le métissage des approches et des regards, m’enrichis de la diversité, de l’altérité, voire du désaccord.

La découverte de la CNV et de la sociocratie libèrent une nouvelle façon d’être en lien… avec moi-même et avec les autres, personnellement et professionnellement.

Passionnée de Recherche et de Relations Humaines, mon intervention à l’école Nouvelle de la Rize constitue la rencontre de 3 sphères de travail :

  • Citoyenne, investie dans différentes associations avec l’intention proposer des façons de vivre ensemble plus naturelles et moins énergivores, j’ai été 6 ans co-présidente de l’école Nouvelle de La Rize avant de m’engager dans l’animation de son instance de régulation ;
  • Mère de famille, j’espère que mes enfants seront des adultes en mesure d’être pleinement eux-mêmes tout en restant attentifs à la prise en compte de chacun… libérer du prisme de la dualité ;
  • Professionnelle du travailler ensemble dans les organisations j’aime être le catalyseur naturel de la transformations des contraintes en expériences (ressources + perspectives).

Une école et un lieu d’exploration

Le mouvement des Ecoles Nouvelles est porté après guerre par le souhait d’offrir une éducation qui permette d’éviter la nouvelle survenue d’une telle catastrophe. L’école Nouvelle de la Rize est une école associative privée sous contrat avec l’Etat qui développe les approches suivantes :

  • L’enfant au cœur de ses apprentissages avec « Learning by doing » « Apprendre en faisant »
  • L’expérimentation d’une vie en société pour les enfants (conseil d’école, conseil de classe, groupes de travail, groupes projets, atelier décloisonnés…)
  • La pédagogie nouvelle reconnaît comme une richesse la coéducation.

Différents types d’acteurs font vivre l’école par leur travail.

Depuis quelques années l’école ajuste son mode de gouvernance pour favoriser un vivre ensemble des adultes inspiré de ce qu’expérimentent les enfants depuis … « toujours », avec les structures transversales inspirées par la pédagogie institutionnelle (assemblée de classe, assemblée d’école…). Progressivement, il est devenu clair que le modèle structurant le plus adapté était celui de la sociocratie.

Un processus, pas un projet : une résultante, pas un résultat attendu

L’évolution de la gouvernance de l’école Nouvelle de la Rize conduit à une refonte des statuts en 2014 pour officialiser son fonctionnement sociocratique. Depuis, ceux-ci ont été ajustés, comme tout organisme vivant s’appuyant sur des phénomènes de feed-back pour s’adapter à son état propre et à son environnement.

La Sociocratie s’appuie sur 3 postulats qui la rendent porteuse de cette agilité :

équivalence : chacun des membres est pris en considération et s’investit au « service » du groupe, projet … ;

– une décision n’est adoptée que si elle est acceptée par ceux qui vont le mettre en œuvre ;

– les membres sont prêts à appliquer les décisions qu’ils ont contribué à prendre.

Pour cela la sociocratie structure les conditions nécessaires à l’auto-organisation sur la base de cercles dont les buts convergent pour la réussite de la mission de la structure et appuient leur fonctionnement sur 4 règles :

  • La décision est prise en cercles dont le but est clairement identifié. Les cercles reposent sur l’équivalence de ses membres et l’altérité de ce qu’ils peuvent apporter ;
  • Les décisions sont prises au consentement, c’est à dire que les éventuelles objections motivées à l’application de la mesure ont été levées par ceux qui devront l’appliquer ;
  • Les cercles sont liés entre eux par deux personnes (double lien), celle qui est en charge de faire appliquer la décision et une personne nommée par son cercle pour porter une parole d’opérationnel ;
  • Le choix et l’affectation des personnes dans une fonction se fait sur la base du consentement des membres après discussion ouverte ;

La métamorphose s’est faite de façon fluide parce que chaque étape de la transformation est la réponse pas à pas à des besoins, obstacles, problèmes rencontrés par la structure et le projet d’école (Implication, stabilité de l’équipe, multiplicité des contrats, … ).

Il n’y avait pas d’intention de « Libérer les structures » organisationnelles de l’école, mais l’envie de mieux travailler ensemble entre adultes. A un moment, les modifications ont été telles qu’il est devenu évident mettre les statuts en cohérence avec la réalité.

Les réponses aux défis rencontrés ont été encouragés par fonctionnement des enfants eux-mêmes dans l’école issus des valeurs qu’adultes co-éducateurs souhaitaient leur transmettre. Nous avons aussi défendu une école apprenante pour chacun … dans un souci d’équivalence. Nous avons été guidés par les enfants, ils ont fait évoluer leur façon de décider collectivement, désormais par consentement.

Plusieurs niveaux de retombées favorables :

Sur le travail :

La durée des CA rarement bouclés avant 2 / 3 heures du matin s’est réduite de façon à permettre une fin sereine avant minuit dans la majorité des cas. De même, de mensuelle leur fréquence est devenue trimestrielle.

Prise au niveau de leur application, les décisions sont porteuses de sens. Préparées et argumentées les décisions sont en phase avec les opérationnels, salariés comme bénévoles, qui les appliquent, en cohérence avec les projets associatifs, éducatifs et pédagogiques de l’école.

Sur les relations :

Lors de décisions sensibles et intenses en charge émotionnelle, les rapports de force tendus en fin de réunion se sont transformés en conscience des complémentarités… plus de gagnant ni de perdant… chacun entendu et reconnu dans ce qu’il apporte.

Les décisions sont robustes, étayées. Plus faciles à communiquer, elles sont portées par les personnes en charge de les mettre en œuvre.

Sur le bien-être :

Pierre Tavernier qui forme depuis plusieurs années les acteurs de l’école à la Sociocratie a coutume de souligner 3 besoins que les individus cherchent à nourrir dans l’organisation : la sécurité, l’appartenance et l’influence :

  • Sécurité : Les insécurités ou dissonances vécues ou ressenties par les acteurs de l’école peuvent être exprimées dans différents lieux qui méritent peut-être d’être encore clarifiés. L’explicitation des rôle et la remise à jour des fiches de mission vont dans ce sens ainsi que la stabilisation de l’équipe.
  • Appartenance : Nous avons observé, le renforcement des liens entre les différents types d’acteurs de l’école, plus de coopération et de compréhension mutuelle, une augmentation de l’appartenance et de la stabilité des engagements, en particulier de l’équipe salariée.
  • Influence : Chaque personne qui souhaite s’investir pour l’école peut contribuer aux décisions qui concernent son champ d’investissement. Et cette influence est créative. J’ai animé il y a quelques années un cercle de direction où il était question de se séparer ou pas d’un enseignant. Celui-ci participait lui-même au cercle et à la décision. Le choix final a été de réduire son temps de travail pour favoriser un rythme adapté à ses besoins de repos en concentrant ses interventions en classe sur ses domaines de compétences, de le compagnonner pour accompagner sa montée en savoir faire et d’engager sur les fonds de l’école un enseignant à temps partiel.

Vigilance, rester ancrer dans la réalité !

Une façon d’investir le leadership

Les modalités de fonctionnement permettent que les décisions soient adéquates. Il est toutefois nécessaire de soutenir leur application, comme un coach aide à atteindre des objectifs difficiles à atteindre seuls. Avec la sociocratie, le rôle du leader reste donc prégnant pour orchestrer l’activité et appliquer les mesures prises. Son autorité repose sur une connaissance approfondie des réalités humaines, pour s’assurer que le cap est aligné avec l’environnement, les projets, impliquant une perception juste du contexte.

Dès lors, le leader est au service de l’organisation, de l’équipe et de ses membres pour soutenir les missions. Cette posture demande un accompagnement et une évolution culturelle de tous, bénévoles et salariés.

La période de transformation mérite des ajustements au fil de l’eau, qui peuvent être déroutants, voire épuisants pour les dirigeants. Car au fond, ils se transforment eux-mêmes en s’ajustant avec leur équipe ! Je suppose que La Directrice de l’école a vécu des années à la fois passionnantes mais aussi éprouvantes durant ce virage !

Lors du passage de relais de la co-présidence, les modifications de rôle et de posture de leader de celui qui sait à celui qui accompagne, soutient et mobilise auraient gagné à être plus explicites. Le temps de transformation personnelle et la nature des informations à transmettre ont alors été sous estimés. La sociocratie a temporairement été considérée comme une méthode plus que comme un nouvel ADN.

Une culture nouvelle du vivre ensemble

Plus l’organisation est mobile, agile, plus les règles du vivre ensemble concernent les process et « l’écologie ». Pas de tâches et notamment pas de contrôle inutile ! Ce modèle du vivre ensemble repose sur la confiance des membres les uns vis à vis des autres et sur la réactivité d’expression ou d’alerte.

La mise en place de lieux d’alerte et de mesure des écarts peut être nécessaire durant le déploiement de la nouvelle gouvernance et la maturation de la culture. Dans un monde où les relations font encore référence au pouvoir « sur » plus qu’au pouvoir « avec », cela peut être vécu comme un contrôle et à ce titre mal toléré. Je crois que c’est le symptôme d’une culture encore ancrée dans la relation de compétition plus que de coopération.

L’altérité comme garantie… ça grince parfois !

Quel que soit le modèle et la culture du groupe, certains membres ressemblent plus à des TGV moteurs de changement au risque de se lasser, et d’autres à des diesels dubitatifs mais pleinement investis une fois convaincus. C’est l’expression de cette diversité qui permet en écoutant les besoins de chacun de rendre robustes les décisions et organique la vitesse de transformation. L’altérité est une garantie si chacun est écouté dans ses besoins du moment afin de contribuer à une gouvernance durable pour tous. Et ce, alors que la gouvernance ne résout pas l’altérité, mais lui donne du sens et de la valeur.

La Communication NonViolente a été un vif soutien à la confiance, l’écoute et l’expression sereine et constructive d’un désaccord, d’un malaise ou d’une objection. Cela aurait mérité d’être plus explicite !

Une transformation en douceur

Si l’avancée de la transformation s’effectue au pas des besoins exprimés… la communication est guidée par les attentes des acteurs, elle est entendue et tombe juste. Si la communication parle du « Projet » de changement de gouvernance, au mieux elle risque de n’intéresser personne, au pire, elle fait peur.

Pour élargir son angle de vue, le soutien du leader par un accompagnant extérieur est préférable via des formations, feed-back, soutien à la réflexion et une écoute lui permettant de trouver sa posture propre.

L’animation des cercles…

L’animation constitue une compétence spécifique en technicité et posture. La nomination du binôme animateur / rédacteur mérite d’être réalisée lors d’une élection sans candidat et d’être accompagnée par une formation qui évite un grand écart entre dualité et nouveau fonctionnement, puis dans le travail collectif, la tension entre écoute de chacun et avancée du groupe.

A terme, les rôles peuvent aussi être échangés pour favoriser la fluidité de posture, faire expérimenter à chacun les contraintes spécifiques des missions et parfois leur inconfort (notamment de l’animation ou de la rédaction). Cette pratique encourage la bienveillance et la compréhension au sein des cercles.

Conclusion

La gouvernance sociocratique ne transforme pas ses membres en « bisounours »… et c’est heureux !

Les conflits y sont les bienvenus, les disputes professionnelles (au sens de Yves Clot) favorisées… et accompagnées. Pour en transformer l’énergie au service de la structure et de la créativité de ses membres. Je considère souhaitable que soit envisagé un modèle de gestion des conflits tel que celui proposé par la sociocratie, les cercles restauratifs ou tout autre système construit sur mesure.

J’ai confiance que la « plasticité » et la maturité actuelle permettent à l’organisation de trouver son chemin au milieu des turbulences générées par la fin des contrats aidés qui mettent actuellement les acteurs autour de la table. Rappelons que l’agilité n’est pas une fin en soi, mais une aptitude à retomber sur ses pattes pour garder le cap.

Le développement d’un vivre ensemble entre adultes, cohérent avec la vision de l’école ce qu’expérimentent les enfants me rend personnellement heureuse et confiante.

Je peux dire à mes enfants… qu’il existe des fonctionnements d’organisations basés sur la coopération, les souhaits et élans individuels en faveur d’un projet commun… ils l’ont expérimenté !

Anne-Gaël Erard – Oduet – mars 2018

Ecole Nouvelle de la Rize: Accueil

Ecole Nouvelle de la Rize, école maternelle et primaire laïque privée sur Lyon

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