La Gouvernance partagée diffusée par l’Université du Nous se revendique de la Sociocratie, méthode de gouvernance dynamique initiée par Gerard Endenburg, qui depuis plus de 50 ans s’est développée dans de nombreux pays et tous types de structures collectives (entreprises, associations, administrations, …). Cependant, pour le Centre Français de Sociocratie (CFS), la tentative de la Gouvernance partagée d’y intégrer d’autres approches et de la lier à des aspirations philosophiques et politiques, dilue et dénature la clarté et l’efficacité de la Méthode de gouvernance sociocratique. C’est l’objet de cet article de Pierre Tavernier.

Introduction

Le Mooc de L’Université des Colibris avec l’Université du Nous – UdN – a popularisé cette expression : « gouvernance partagée » pour décrire de nouvelles façons de communiquer, de décider ensemble, de concilier l’épanouissement des personnes et des organisations.

Avec la « gouvernance partagée », l’UdN revendique « une transmission qui utilise les processus et l’esprit de l’HolacracyTM et de la sociocratie » (1). Mais la gouvernance partagée, qu’est-ce que c’est ? En quoi et comment utilise-t-elle « les processus et l’esprit de la sociocratie » ?

Président du Centre Français de Sociocratie, j’oscille entre la satisfaction de voir promus, même sous un autre nom, les outils de la sociocratie, et l’inquiétude de voir ces mêmes outils mal compris, mal utilisés, dilués dans des approches plus ou moins globalisantes.

Dans de nombreux livres ou recueils ou guides sur l’intelligence collective ou sur le travail collaboratif, figure en bonne place la « prise de décision par consentement » de la sociocratie. Et d’un certain point de vue, c’est tant mieux. La prise de décision par consentement est un outil très puissant, si on l’a bien compris et si l’on est capable d’identifier à quelles conditions elle peut être utilisée en dehors d’une organisation sociocratique. Mais il nous revient parfois des témoignages de personnes qui ont vécu des « décisions par consentement » mal conduites ou inappropriées comme des expériences tout à fait traumatisantes. La sociocratie ne se réduit pas à ces deux outils les plus connus que sont la décision par consentement et l’attribution des mandats par consentement (2).

J’ai donc voulu savoir ce qui distingue la « Gouvernance partagée » de la Méthode sociocratique de gouvernance, et ce qu’elles ont en commun. Pour faciliter la lecture, dans le texte qui suit, toutes les citations sont en italique et sont référencées à la fin de l’article. En outre, le mot sociocratie, qui apparaît pour la première fois sous la plume d’Auguste Comte, ayant eu dans l’histoire des significations différentes, je précise que, dans ce texte, je l’utilise dans le sens qu’il a pris avec la diffusion de « la Méthode sociocratique de gouvernance » formalisée dans les années 1970 par Gerard Endenburg.

La « Gouvernance partagée »

Voici de larges extraits de ce qu’expose, sur le site de l’UdN, Laurent Van Ditzhuyzen, cofondateur de l’UDN et intervenant du MOOC au sujet de « ce double mot qui dit tout sans rien dire » (3)

« (…) Dans les esprits conditionnés par quelques centaines d’années de systèmes pyramidaux, la gouvernance est donc tenue par une personne, au mieux, quelques individus. Ce à quoi, nous précisions qu’une gouvernance est la forme plus ou moins complexe qui structure et régit le fonctionnement organisationnel, social et relationnel des individus d’un système. Autrement dit, ce sont donc les règles qui régissent un groupe ou une organisation.

Gouvernance partagée entre croyance d’une unanimité évidente et d’un épanouissement personnel sans faille

Le fait de lui associer les termes «gouvernance» et «partagée» crée dans notre imaginaire une forme d’ambiguïté qui, soyons clairs, a fait une partie de notre succès. Oui, cette ambiguïté est venue redonner de l’espoir à toutes celles et ceux qui ont vu derrière ces deux mots accolés la solution à leurs problèmes. Sortir du pouvoir unilatéral, voire même sortir du pouvoir tout court pour aller vers une forme d’égalitarisme décisionnel où chaque point de vue serait pris en compte et où le joyeux consensus régnerait en roi. Plus de conflit puisque nous serions toujours toutes et tous d’accord. (…) Bon nombre ont dû se confronter à une toute autre réalité et traverser une profonde déception. Le mur a été impitoyable ! Car jamais la gouvernance partagée n’a tenu pareille promesse. Aucun système ou modèle à ma connaissance ne permet un tel résultat. Et pour cause ! Nos différences de personnalité, l’endroit où nous en sommes sur notre chemin personnel, la connaissance de nous-mêmes, de nos forces, de nos fragilités, nos egos plus ou moins blessés, bref… (…) Nous ne pouvons donc pas nous mettre d’accord sur tout et particulièrement quand il s’agit de notre vision du monde.

Gouvernance partagée ou distribuée ou agile, différents noms pour un même objectif : changer de paradigme personnel et collectif

Aujourd’hui, certain-es parlent de gouvernance distribuée, ou agile, toutes sortes d’appellations qui tentent de nous rapprocher de ce que chacun-e souhaite y voir advenir.

Ce bouillonnement est pourtant le signe réel que quelque chose bouge. La conscience se fait plus large et la nécessité de faire face à un système qui touche à sa fin et qui ne trouve pas sa solution pour survivre nous appelle à un changement qui va bien au-delà d’une méthode, d’outils ou de techniques. (…). Mais si nous continuons à croire prétentieusement que notre esprit est suffisamment fort pour inventer une solution miracle qui transformerait ce que nous avons inscrit au fer rouge par une méthodologie bien huilée de ces processus coercitifs, alors nous oublions que le premier pas est d’abord d’accepter qu’une partie du problème et de la solution est en nous. (…) »

Sortir de la volonté orgueilleuse de construire un système de gouvernance parfait

« C’est en cela que l’Université du Nous s’est toujours définie sans modèle, convaincue que la perfection n’existe pas. Pourtant, nous avons bien une gouvernance, des règles, une structure inspirée de modèles et d’outils. Certes, mais là aussi nous ne savons pas nous mettre d’accord sur ce sujet. Certain·es d’entre nous pensent qu’il est nécessaire de faire référence à un modèle particulier, de définir un cadre clair, rassurant pour ne pas avoir à le réinventer sans cesse, un cadre rigoureux qui nous empêche de tricher et de retomber dans les travers de la manipulation. Oui, nous accompagnons sur la base d’une transmission qui utilise les processus et l’esprit de l’HolacracyTM et de la sociocratie. Oui, nous avons construit une vision singulière de la gouvernance partagée sur laquelle nous nous appuyons pour fonctionner et accompagner nos client·es. Mais il s’agit toujours de notre façon de voir le monde exprimant nos points de vue spécifiques et nos aspirations philosophiques et politiques. Pour moi, l’important n’est pas de trouver des compromis entre toutes et tous sur ces sujets de fond. Mais de tenir l’esprit de départ qui accepte le paradoxe du vivant, créatif et imparfait rendant l’organisation fragile, vulnérable et dans l’acceptation de sa finitude possible, à l’image des hommes et des femmes, des humains qui l’ont fait advenir. » (4)

La Sociocratie

Je souscris volontiers à l’appel de Laurent Van Ditzhuyzen à sortir de « la volonté orgueilleuse de construire un système de gouvernance parfait », et j’entends bien qu’au cœur de toute entreprise collective il y a des hommes et des femmes, tous uniques, qui sont les acteurs et devraient être aussi le but et la mesure de tout travail collectif. Ceci dit, ce texte me pose davantage de questions qu’il ne m’apporte de réponses sur l’association des termes « gouvernance partagée » dont pour ma part, je regrette vivement « l’ambiguïté qu’elle crée dans les imaginaires. »

D’un point de vue purement sémantique, si la gouvernance « est la forme plus ou moins complexe qui structure et régit le fonctionnement organisationnel, social et relationnel des individus d’un système », cette forme est partagée, de gré ou de force, par les membres du groupe. Accoler ces deux mots n’a donc en soi pas grand sens. Ce n’est évidemment pas cela que veut signifier « la Gouvernance partagée ». On comprend que c’est plutôt dans le sens que les acteurs participent à la définition de ce processus de structuration et de régulation du fonctionnement d’une entreprise collective qu’est la gouvernance, qu’il faut entendre « gouvernance partagée ». Mais dans ce sens, l’expression peut inclure de nombreuses formes collectives telles que les coopératives et les mutuelles, les associations ayant un fonctionnement démocratique basé sur une Assemblée Générale, les « entreprises libérées », voire la cogestion de diverses institutions entre organisations d’employeurs, syndicats et pouvoirs publics…

Il y a donc bien « une ambiguïté » à utiliser deux noms communs porteurs d’ouverture à une diversité de formes possibles (5), pour finalement en faire usage comme si c’était un nom propre, la « Gouvernance partagée », associée à une pratique expérimentée et transmise par l’UdN, et revendiquée comme « singulière » (6). Laurent Van Ditzhuyzen écrit : « l’Université du Nous s’est toujours définie sans modèle, convaincue que la perfection n’existe pas ». Mais le succès de la diffusion de cette expression floue devenue un nom propre ne lui donne-t-elle pas, de facto, un pouvoir normatif : « voici le chemin à suivre si vous voulez que la gouvernance de votre organisation soit partagée », même si ce n’était pas forcément l’intention des auteurs, puisque cela va à l’encontre de leur volonté affichée.

En outre, l’ambiguïté de la formule, dont on peine à saisir ce qu’elle recouvre réellement, ne me semble pas faciliter l’appropriation d’outils, qui peuvent être imparfaits ou partiels, mais qui, utilisés à bon escient et dans leur domaine spécifique, peuvent être très utiles pour atteindre les nouvelles formes d’organisation désirées qui concilient harmonieusement la poursuite des objectifs collectifs des organisations et l’épanouissement de leurs membres.

Je comprends la peur du modèle et même, je la partage. Mais pour moi, la sociocratie n’est pas « un modèle » mais une méthode de gouvernance qui vise à installer l’équivalence de toutes et tous dans le processus de prise de décision dans les entreprises collectives au moyen de règles simples. Elle éclaire les conditions structurelles du travail collectif qui permettent à chacun de déployer son pouvoir d’agir pour atteindre l’objectif commun tout en régulant l’exercice de ce pouvoir d’agir pour qu’il ne puisse devenir un pouvoir de domination. Cette méthode est précisément décrite par son auteur dans plusieurs ouvrages, dans lesquels il en explique les fondements et la logique. Des entreprises collectives nombreuses et variées l’utilisent. Son auteur, Gerard Endenburg, ne revendique aucune « perfection » pour la méthode qu’il a formalisée en l’expérimentant dans sa propre entreprise. C’était pour lui une réponse pragmatique à sa volonté de permettre l’auto-organisation de son entreprise et sa réflexion l’a conduit à la conclusion qu’il fallait pour cela « modifier carrément la structure de pouvoir » (7). L’expérience lui a permis de confirmer sa réflexion et d’ajuster sa méthode, méthode qu’il n’a jamais présentée comme la panacée universelle. Il écrit : « Le système (sociocratique) adopté est vraiment une aide, mais il n’est ni plus ni moins qu’une aide. Une organisation dont les membres ne sont pas compétents pour les tâches qui leur sont confiées ne fonctionnera jamais correctement, quel que soit le système adopté. La compétence et l’intention des individus concernés sont d’une importance décisive pour le fonctionnement de n’importe quelle organisation. » (je souligne) (8) Quel avantage y a-t-il à diluer une méthode précise qui veut être « ni plus ni moins qu’une aide », c’est-à-dire, un outil, dans le concept flou, « la gouvernance partagée », qui suscite des espoirs qu’elle ne peut pas tenir aux dires mêmes de ses inventeurs ?

Laurent Van Ditzhuyzen écrit encore : « nous accompagnons sur la base d’une transmission qui utilise les processus et l’esprit de l’HolacracyTM et de la sociocratie (…) Mais il s’agit toujours de notre façon de voir le monde exprimant nos points de vue spécifiques et nos aspirations philosophiques et politiques ». En assujettissant ainsi la méthode sociocratique de gouvernance à « nos aspirations philosophiques et politiques », on dénature cette approche systémique des organisations tout à fait originale. Pour Gerard Endenburg, la sociocratie ne présuppose aucune croyance. « La sociocratie est un outil, un contenant vide, qui ne requiert des personnes qui l’utilisent aucune vision idéologique ou politique particulière. C’est un outil simple qui, en rétablissant des relations de pouvoir saines entre les individus d’une même organisation, crée les conditions pour une vie d’entreprise obéissant aux lois naturelles qui régissent les systèmes autoorganisés. » (9) Et lorsqu’elle est utilisée ainsi, la méthode fonctionne, non pas au nom d’une quelconque philosophie politique, mais simplement dans l’intention de permettre à l’organisation de se comporter comme un système dynamique, capable d’évoluer de façon créative, pour rester en phase avec les besoins de ses membres et de son environnement.

« La sociocratie ne requiert pas la solidarité, ne requiert pas l’unanimité, n’exige pas un « oui » – elle donne l’occasion de poser un « non » argumenté – écrit Gerard Endenburg. Cela ne signifie pas que la solidarité, l’unanimité et l’adhésion ne soient pas possibles au sein de la sociocratie, ni qu’elles soient interdites, mais elles ne sont pas un prérequis, et c’est très important. » (10)

La sociocratie ne cherche nullement à réduire les différences, mais au contraire, elle les utilise pour rendre le système plus robuste. Nul besoin que nos visions du monde soient identiques pour que nous puissions œuvrer ensemble dans de bonnes conditions. Il suffit qu’elles soient compatibles entre elles et avec notre but commun. Ta vision du monde est bonne et la mienne aussi, et notre vision commune en est enrichie. C’est ce « et » qui change tout et qui peut se vivre dans les organisations sociocratiques grâce à la règle de la prise de décision par consentement qui y installe l’équivalence. Si l’on est bien formé, que l’on maîtrise bien la méthode, et que l’on se trouve dans une situation qui le permet, on peut le vivre également dans des organisations qui ne sont pas sociocratiques. J’en ai fait une belle expérience pendant 6 ans en tant que maire de mon village, avec un conseil municipal constitué de personnes réunies à la hâte sur la seule base du volontariat pour palier une absence totale de candidat.

Les Clefs pour mettre en place une gouvernance partagée et la méthode sociocratique de gouvernance

A défaut d’une définition précise de ce qu’est « la gouvernance partagée », l’UdN propose une carte (11) qui liste les clés pour mettre en place une gouvernance partagée.

Examinons les 7 clés présentées par la carte et comparons-les aux préconisations de la méthode sociocratique de gouvernance pour tenter de faire apparaître ce qu’elles ont en commun et ce qui les différencie.

 

Les 7 clés pour mettre en place la gouvernance partagée Les préconisations de la sociocratie

Co-construire un cadre de sécurité :

  • processus d’entrée
  • processus de sortie
  • processus d’exclusion
  • cadre relationnel
  • processus de gestion de conflits
  • régulation des tensions

 

  • Processus d’entrée , processus de sortie, processus d’exclusion : l’organisation dans son ensemble et chaque sous-ensemble (cercle) doit en disposer. (Norme SNC 1001-0) (12)

  • Cadre relationnel : il appartient au cercle ou à l’organisation de le définir si elle le juge nécessaire.

La sociocratie regarde les tensions comme des écarts entre les situations souhaitées et les situations existantes (Norme SNC 1001-0). Les tensions sont donc des énergies disponibles pour progresser. L’espace sociocratique de régulation des tensions et de gestion des conflits est le cercle sociocratique. Si le cercle ne parvient pas à gérer le conflit, il peut recourir à son cercle supérieur ou demander la constitution d’un cercle d’aide. Le cercle peut également recourir à tout moyen qu’il juge pertinent pour régler le conflit et aller chercher des ressources externes.

Plus fondamentalement, le cadre de sécurité dans une organisation sociocratique repose sur l’équivalence installée dans l’organisation par les 4 règles de base (13) et sur l’inscription de ces règles dans les statuts de l’organisation.

Choisir un processus de prise de décision

  • cultiver l’art de décider
  • consentement
  • élection sans candidat
  • gestion par consentement
La décision en sociocratie est régie par le processus de prise de décision par consentement qui installe l’équivalence dans le cercle. Elle porte sur les orientations, les politiques, les règles de fonctionnement, c’est-à-dire le cadre à l’intérieur duquel l’activité se déploie.

Le processus d’attribution des mandats par consentement, dit « élection sans candidat » ou « élection sociocratique, » en découle.

Le cercle peut décider par consentement d’utiliser un autre mode de décision s’il le souhaite.

Par ailleurs, les membres du cercle sont autonomes pour prendre des décisions opérationnelles, incluses dans le périmètre de pouvoir et de responsabilité qui leur est confié par le cercle : le consentement à ces décisions est donc donné par anticipation.

Piloter l’organisation (Modèle du vivant )

  • raison d’être
  • agilité (ressentir et ajuster)
  • pilotage dynamique
  • ici et maintenant
  • prochain petit pas
Gerard Endenburg : « Le terme « sociocratie » réfère à un mode de prise de décision et de gouvernance qui permet à une organisation de se comporter comme un organisme vivant, de s’auto-organiser. Pour rendre cela possible, la sociocratie va permettre à toutes les composantes de l’organisation d’exercer un pouvoir souverain sur la gestion de l’ensemble comme c’est le cas chez les organismes vivants. » (14)

La raison d’être est un terme emprunté à l’Holacracy (15) et repris par Frédéric Laloux dans le livre Reinventing Organizations. En sociocratie : l’organisation dans son ensemble, et chaque sous-ensemble (cercle et individus) dispose d’un document décrivant sa vision, sa mission et ses buts (ces 3 concepts articulés désignant des questions spécifiques à se poser pour expliciter nos intentions communes).

L’agilité est un terme qui se réfère aux méthodes agiles qui sont très proches de la sociocratie dans leur démarche, mais qui portent sur la mise en œuvre des travaux alors que la sociocratie s’intéresse à la gouvernance. Les méthodes agiles méritent qu’on s’y intéresse pour elles-mêmes. Elles peuvent être très utiles pour une organisation sociocratique.

Les américains ont nommé la sociocratie, « Gouvernance dynamique ». Ce dynamisme est le résultat de l’organisation en cercles, du double-lien entre les cercles et de la prise de décision par consentement.

Ici et maintenant, prochain petit pas, conviennent pour décrire la démarche empirique que permet l’auto-organisation, rendue possible par les 4 règles de base de la sociocratie.

F. Laloux a décrit la différence dans le pilotage d’une organisation entre un style basé sur « ressentir et ajuster » par rapport à un style basé sur « prévoir et contrôler ». D’un point de vue sociocratique, l’un et l’autre sont possibles et sont utiles pour répondre à ce que les membres de l’organisation, le projet collectif, et son contexte de mise en œuvre exigent.

Structurer le(s) cercle(s)

  • Elire facilitateur

  • Elire secrétaire

  • Déterminer le premier lien

  • Elire le second-lien

Le cercle comme lieu de prise de décision est la première règle de la sociocratie. Le pré-requis à la constitution d’un cercle est que le cercle dispose d’une vision, d’une mission et de buts clairement explicités, que les membres auront à actualiser périodiquement par consentement.

Les 4 mandats (responsable exécutif, facilitateur, secrétaire, second-lien) sont ceux de la sociocratie, même si la sociocratie utilisera plutôt le terme de « responsable exécutif » en lieu et place de « premier lien » qui vient de l’Holacracy.

Définir qui décide quoi ?

  • Définir la raison d’être des rôles
  • Déterminer les redevabilités ou tâches
  • Définir le périmètre d’autorité
  • Attribuer des rôles
La terminologie est empruntée à l’Holacracy. 

La réalité décrite est le design des fonctions qui est explicité dans la norme sociocratique SNC 1001 :

« Chaque participant dispose d’un document écrit, rédigé par le cercle établissant son domaine. Le domaine décrit le champ des responsabilités pour lesquelles le participant a acquis l’autorité déléguée par le cercle et pour lesquelles les responsabilités, autorité et tâches ont été définies. »

Cultiver une posture

  • Ecouter
  • Coopérer
  • Lâcher prise
  • Reconnaître son ego
  • Se remettre en question
  • S’observer (Méta-position)
  • Leader souteneur coopératif
  • Souveraineté
  • Confidentialité
  • Bienveillance
« La compétence et l’intention des individus concernés sont d’une importance décisive pour le fonctionnement de n’importe quelle organisation ». (16)

Ecouter, coopérer, lâcher prise… Ces savoir-être sont très utiles pour travailler collectivement mais ils ne relèvent pas de la gouvernance, ne se décrètent pas par une prise de décision, serait-elle collective. Tout englober dans le champ de la gouvernance crée de la confusion, et passe à côté de la dimension systémique des organisations.

Le fonctionnement en cercle sociocratique offre un cadre propice au développement d’une posture d’écoute, de coopération… mais ce n’est pas un prérequis… Le cercle peut se donner des recommandations de cet ordre s’il l’estime nécessaire. La méthode sociocratique ne le requiert pas. On est ici dans le champ du développement personnel bien plus que dans celui de la gouvernance. Le risque, en mêlant les deux, est de poser des injonctions ou une norme idéaliste qui génère des attentes inaccessibles, voire une pression du collectif sur les individus.

Ceci étant, il est sûr que transmettre la méthode sociocratique de gouvernance suppose l’apprentissage d’une nouvelle posture et de « désapprendre » certaines habitudes intégrées dans les environnements autocratiques de la société française.

En ce qui concerne le leadership, Endenburg écrit : « Ici, il est important de comprendre que la sociocratie n’est pas une méthode de gestion participative ou de cogestion car elle n’est pas un style de gestion. Elle modifie carrément la structure de pouvoir pour permettre l’expression dans la vie de tous les jours du style de leadership qui semble le plus approprié dans un contexte donné. Elle permet une gouvernance plus facile, sans égard pour le style personnel du manager. » (17)

La norme SNC 1001 définit la responsabilité des dirigeants et managers, en tant que responsables de cercle :
« permettre l’introduction, l’implantation et le maintien de la méthode sociocratique ». Cela suppose d’y avoir été formé, et de s’engager dans l’expérience d’une nouvelle manière d’exercer le pouvoir, en s’appuyant sur les cercles. Toutefois, une véritable gouvernance sociocratique n’est pas garantie ultimement par les qualités personnelles des leaders de l’organisation (tout être humain est faillible) mais par son institutionnalisation dans les statuts de l’organisation.

Créer du nous

  • Faire-être ensemble
  • Reconnaître les richesses

La sociocratie favorise :

  • Une appropriation de la vision et des objectifs à tous les niveaux de l’organisation par leur explicitation et leur adoption par consentement.
  • La prise de décisions stratégiques de manière collective et efficace au niveau approprié (cercles de décision).

  • La valorisation de la contribution et la responsabilité de chacun (Consentement).

  • Une structuration efficace de la circulation de l’information à la fois descendante et remontante (Double-lien)

  • L’esprit d’équipe et l’émergence des leaders (Election sociocratique)

En ce sens on peut dire qu’elle crée du « Nous », étant entendu que la méthode sociocratique comme « contenant vide » ne saurait créer du Nous s’il n’existe pas déjà. Il serait peut-être plus ajusté de dire qu’elle renforce le sentiment d’appartenance à un collectif et facilite l’articulation du bien commun d’une entreprise collective et du bien particulier de ses membres.

En conclusion

Au terme de cette étude, il me semble que la Méthode sociocratique de gouvernance assume intégralement, pour ce qui relève de la gouvernance, les clés d’une « gouvernance partagée » et je ne pense pas que la réciproque soit vraie. Je crains que les tenants de la « Gouvernance partagée » n’aient de la sociocratie qu’une connaissance partielle et partiale et contribuent, sans malice bien entendu, à la rendre confuse et à en diffuser une image inappropriée.

Cela peut s’expliquer en partie par les circonstances de la diffusion en France de la Méthode sociocratique de gouvernance. La diffusion de la sociocratie – ou « gouvernance dynamique » – en France a connu une très forte accélération à partir de 2007, lorsque l’ACNV – Association Française de Communication NonViolente – a sollicité Gilles Charest pour animer en France des formations, dans le but de disposer d’une méthode adéquate et compatible avec la CNV pour structurer son réseau. La personnalité et les centres d’intérêt de Gilles Charest ont fortement teinté de développement personnel sa pédagogie pour transmettre la sociocratie, et l’image de la sociocratie en a été marquée. Bernard-Marie Chiquet, formé à la sociocratie par Gilles Charest, ayant opté ensuite pour HolacracyTM, très fortement inspirée par la méthode sociocratique de gouvernance(18), a logiquement fait valoir l’originalité et la supériorité revendiquée de HolacracyTM plutôt que de mettre en avant tout ce qu’HolacracyTM a emprunté à la Méthode sociocratique de gouvernance.

Par la suite, nous avons assisté à la diffusion d’une sociocratie réduite au squelette des 4 règles, sans en expliciter ni le sens ni la portée, par des personnes ou mouvements souvent pétris de bonnes intentions mais peu ou mal formés. La méthode sociocratique de gouvernance, s’est ainsi trouvée reléguée au musée des organisations encore « pyramidales », modèle sous lequel elle est représentée graphiquement sur le site de l’Université du Nous(19), assorti d’une présentation inadéquate issue de Wikipedia.

Aujourd’hui, on lit sur Wikipedia que « la sociocratie est un mode de gouvernance partagée » ce qui est tout à fait étonnant, la sociocratie précédant la gouvernance partagée de plusieurs dizaines d’années ! Ceci manifeste à mon sens que la sociocratie n’est ni bien connue, ni bien comprise. Cela montre aussi, mais c’est un autre sujet, que Wikipedia est un espace dans lequel se joue des luttes de pouvoir et d’influence d’autant plus réels qu’ils sont masqués sous le voile pudique du « coopératif ».

Ce regard déformé sur la sociocratie a été facilité par le fait que les ouvrages de référence de Gerard Endenburg sont peu accessibles (écrits en néerlandais, non traduits en français et difficiles à lire en anglais) et que le Centre sociocratique de Hollande a toujours refusé de publier les « normes » que j’ai citées supra. J’y ai eu accès il y a plusieurs années lors du processus de ma certification comme expert sociocratique par le Centre Mondial de Sociocratie. Le Centre Français de Sociocratie, association sans but lucratif créée en 2010, a fait le choix en 2014 de reprendre son autonomie, restant dans la filiation des travaux de Gerard Endenburg mais ne souscrivant pas à la stratégie de développement et au modèle organisationnel de franchise, adoptés lors de la transformation du Centre Mondial en « The Sociocracy Group (TSG) ».

Aujourd’hui, le Centre Français de Sociocratie développe des liens avec le mouvement SoFA (Sociocracy For All) qui a pris, avec beaucoup de dynamisme, l’orientation de diffusion de documents sous licence Creative Commons pour faire connaître la méthode sociocratique de gouvernance. Cela nous donne l’espoir de pouvoir mieux faire connaître la méthode sociocratique de gouvernance comme une approche ouverte et à la fois précise pour soutenir les personnes et les organisations souhaitant participer au changement de paradigme par un vrai partage du pouvoir.

Nous voulons promouvoir la méthode sociocratique de gouvernance, parce qu’elle est un excellent outil pour mettre en place une gouvernance authentiquement participative. Elle n’est pour nous ni une ni une idéologie, ni une religion, ni la réponse ultime à toutes les questions qui se posent quand des femmes et des hommes veulent œuvrer ensemble. La méthode sociocratique a un parti pris minimaliste, qui veille à laisser à ses utilisateurs l’entière liberté et responsabilité de déterminer quoi faire et comment.

Il s’agit d’un outil expressément centré sur l’un des trois piliers nécessaires au bon fonctionnement d’une entreprise collective : l’organisation, et de façon spécifique sur l’organisation du pouvoir décisionnel, considéré comme un facteur déterminant du fonctionnement collectif. D’autres outils comme la Communication NonViolente, Dragon Dreaming Project design, la méthode Belbin des rôles en équipe, Scrum et autres méthodes agiles… et beaucoup d’autres outils d’animation du travail collectif que nous utilisons aussi sont également très utiles pour travailler sur d’autres aspects de l’organisation, et sur les deux autres piliers de ce bon fonctionnement des entreprises collectives que sont la qualité des relations et l’explicitation d’intentions partagées.

Pierre Tavernier

Président du Centre Français de Sociocratie

Avec les contributions de 3 membres du Cercle de direction de l’association :
• Thomas Marshall, Responsable exécutif du Cercle Agrément
• Anne-Gaël Erard, Second-lien du Cercle Agrément
• Richard Michel, Secrétaire du Cercle de direction et Responsable exécutif du Cercle Communication externe

Cet article peut être partagé dans le cadre de la licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 3.0 France (CC BY-NC-ND 3.0 FR).
Pour en savoir plus : https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/3.0/fr/

Pour toute autre utilisation, merci de prendre contact au préablable avec Pierre Tavernier via le formulaire de contact.

Notes :

1. Laurent Van Ditzhuyzen, « Gouvernance Partagée : promesse, illusion et réalité », article publié le 9 juin 2020 : http://universite-du-nous.org/gouvernance-partagee-promesse-illusion-realite/

2. Souvent désignée par les expressions « élection sans candidat » ou « élection sociocratique »

3. et 4. Laurent Van Ditzhuyzen, article cité en 1.

5. La motivation initiale des fondateurs de l’UdN était-elle, par l’usage de ce terme, de se libérer de la dépendance à l’Holacratie, un modèle organisationnel dont la découverte aurait été inspirante pour eux, mais qui s’avère être protégé par un dépôt de marque (HolacracyTM) empêchant une réappropriation créative ?

6. Université du Nous, « La Gouvernance Partagée, qu’est-ce que c’est ? », article publié le 12 mai 2016 : http://universite-du-nous.org/gouvernance-partagee-quest-cest/

7. John A. Buck et Gerard Endenburg, « La Sociocratie – les forces créatives de l’auto-organisation », article traduit en français par Gilles Charest (2004). A télécharger ici.

8. Gerard Endenburg, « Sociocracy – The organization of decision-making », édition Eburon (Utrecht, Pays-Bas), 1998. Extrait traduit par Pierre Tavernier.
NB : L’ouvrage a été publié initialement en néerlandais en 1981.

9. John A. Buck et Gerard Endenburg, article cité en 7.

10. Gerard Endenburg, ouvrage cité en 8. Extrait traduit par Thomas Marshall.

11. La carte peut être téléchargée à l’adresse suivante : http://universite-du-nous.org/a-propos-udn/ses-outils/

12. Norme SNC 1001 : « La méthode sociocratique ; Règles d’application ; Partie 0: Garantir l’équivalence dans la prise de décision – selon le Centre sociocratique de Hollande », © 2005 Stichting Sociocratisch Centrum (Rotterdam). Traduction en français par Benoît Gagnon, Sociogest, le 16/10/2007.

13. Les 4 règles de base sont : le cercle comme instance de prise de décision, le consentement comme règle de décision, l’existence d’un double lien entre deux cercles de niveau organisationnel différent, l’attribution des mandats aux membres du cercle selon la règle du consentement (l’élection sans candidat en étant une modalité d’application possible). En savoir plus

14. John A. Buck et Gerard Endenburg, article cité en 7.

15. Thomas Marshall, « Quelles différences entre la sociocratie et l’holacratie ? », article publié le 16/05/2018 – http://www.sociocratie-france.fr/2018/05/quelles-differences-entre-la-sociocratie-et-l-holacratie.html

16. Gerard Endenburg, ouvrage cité en 8. Extrait traduit par Pierre Tavernier.

17. John A. Buck et Gerard Endenburg, article cité en 7.

18. Thomas Marshall, article cité en 15.

19. Université du Nous, article cité en 6.