« Gerard Endenburg a défini les quatre règles sociocratiques en établissant une analogie entre une organisation d’individus et des phénomènes connus dans des domaines techniques, spécialement en électronique et en biologie.

Turing, Prigogine et d’autres ont établi les fondements de la théorie des systèmes dans les années 1950, en transposant les principes de la mécanique et de la thermodynamique à d’autres champs d’étude, tel celui de la biologie. De leurs travaux découlèrent de nouvelles disciplines comme la recherche opérationnelle et aboutirent à de nombreuses applications dans la fabrication industrielle et en management. Donnant naissance à l’informatique, ces recherches ont généré des outils aujourd’hui familiers, tels le PERT et les diagrammes (Flow chart).

Certaines organisations sont mieux structurées que d’autres. En management, une des utilités de l’approche systémique est de nous révéler pourquoi certaines sont mieux organisées et de fournir une méthodologie rigoureuse pour améliorer le design organisationnel et l’évaluation des résultats.

Prigogine, un chimiste belge né en Russie, s’intéressa particulièrement aux systèmes qui s’auto-organisent. En 1977, Prigogine reçut le prix Nobel de chimie pour « sa contribution au déséquilibre thermodynamique, particulièrement pour sa théorie des structures dissipatives ». En termes simples, il démontra comment l’ordre pouvait naître du chaos. Par raisonnement mathématique, il élargit l’étendue des applications des sciences purement physiques à l’écologie et aux sciences sociales. D’autres ont repris ses idées pour examiner certains sujets comme l’organisation de la vie sur terre, l’équilibre dynamique des écosystèmes et même la prévention des embouteillages routiers.

En 1978, Herman Haken, un professeur renommé de l’Institut de théories physiques de l’université de Stuttgart reprit les travaux mathématiques de Prigogine sur les gaz et inventa le terme « synergétique » pour décrire la nouvelle discipline qu’il fonda et qui étudie le phénomène de l’auto-organisation. Haken démontra que des activités d’auto-organisation aussi diversifiées que celles des lasers, des bandes régulières de nuages cirrus dans le ciel, de certaines réactions chimiques rythmiques, des « patterns » dans des moules de terre, du nombre des fluctuations dans l’arrivage des peaux de lynx et de lièvres reçues par la Compagnie de la Baie d’Hudson sur une période de 90 ans, et de la formation de l’opinion publique ne sont mathématiquement qu’un seul et même processus.

Prigogine et Haken ont démontré que, pour s’auto-organiser, un système doit rencontrer deux conditions. Premièrement les éléments du système qui s’auto-organise doivent être équivalents, c’est-à-dire qu’ils ne doivent pas avoir de contrôle les uns sur les autres. Un système où les éléments ne peuvent pas se limiter ou se contrôler les uns les autres devient rapidement chaotique. Deuxièmement, pour s’auto-organiser, un système doit avoir une source d’énergie externe. Ces conditions sont vraies pour tous les systèmes qui s’auto-organisent, que ce soit des personnes qui se réunissent librement autour d’une table pour une activité commune ou les atomes qui s’harmonisent sur une fréquence dans un laser.

Les quatre règles de base de la sociocratie créent dans les systèmes sociaux les conditions nécessaires pour l’auto-organisation. Les règles du consentement, des élections et du double lien établissent la première de ces conditions, celle selon laquelle les éléments du système ne doivent pas se contrôler mutuellement. Par exemple, dans le processus d’élection, la procédure qui veut que chaque personne mette en nomination un candidat en écrivant son nom sur un bout de papier crée intentionnellement une situation temporaire de chaos. L’autre règle, la formation de la table de concertation, fournit quant à elle la source d’énergie externe nécessaire au système parce qu’elle établit le but commun que le cercle poursuit. Le but commun crée une tension, une énergie : « nous devons travailler ensemble pour fabriquer un produit ou rendre un service et nous devons le faire mieux que notre compétition ».

En comparant, nous pouvons voir que les organisations conventionnelles ne créent pas les conditions nécessaires pour déclencher le phénomène de l’auto-organisation. Ni le mode de décision autocratique, ni le mode démocratique basé sur le vote majoritaire ne permettent aux éléments (les personnes) du système (l’organisation) de ne pas se contrôler mutuellement. Par exemple, si chaque membre du conseil de direction possède un vote chacun, la majorité des votes sur un sujet donné contrôle la minorité. La procédure d’élection majoritaire détruit donc l’équivalence initiale entre les individus. 

Les gestionnaires d’une entreprise ont beau aplatir la structure organisationnelle ou adopter un style plus ou moins participatif, en réalité rien n’est fondamentalement changé dans la relation de pouvoir qui unit le gestionnaire et l’employé : c’est toujours le manager seul qui détient le pouvoir final de dire oui ou non. Il faut en convenir, les organisations conventionnelles sont organisées mais non auto-organisées. Seule la structure sociocratique, qui établit l’équivalence fondamentale entre les individus et élimine la relation toujours sous-jacente du maître et de l’esclave, permet l’avènement du phénomène naturel de l’auto-organisation.»