Nous sommes quotidiennement plongés dans des groupes et des institutions qui peuvent être soit dynamisants, soit destructeurs. La personnalité de leurs membres ne suffit pas à l’expliquer. Les structures et les règles de fonctionnement de l’organisation influencent à notre insu les comportements et les relations humaines.

C’est ce constat qui est à l’origine de multiples tentatives visant à réguler le pouvoir dans les organisations.
Souvent, on institue des règlements et des mécanismes de contrôle pour maîtriser les dérives, c’est la logique bureaucratique. Elle a tendance à étouffer l’innovation.
Dans d’autres cas, en particulier dans le milieu associatif, on affaiblit la structure hiérarchique et on travaille dans des groupes-projet éphémères, c’est la logique de réseau. Elle a tendance au contraire à s’étioler par son instabilité.

Le mode de gouvernance sociocratique est né pour réconcilier la structure (verticalité) et la participation active de chacun à un projet collectif (horizontalité). Pour cela, il faut garantir que nul ne pourra imposer une décision sans tenir compte de ceux qui auront à en supporter les conséquences. C’est le principe de l’équivalence : les membres d’une organisation ne sont pas égaux en compétences, en responsabilité, mais leurs voix doit avoir autant d’importance pour que l’organisation reste dynamique et vivante.

Ces intentions peuvent évoquer le mode de fonctionnement des coopératives, dans lesquelles les associés prennent leurs décisions avec la règle « 1 personne = 1 voix », et non en fonction des parts du capital détenu. Mais dans un vote, la majorité l’emporte et a le droit de ne pas prendre en compte les positions minoritaires : dans ce cas, l’équivalence est rompue.

D’autres pratiques consistent alors à prendre les décisions lorsqu’un consensus est trouvé. Une difficulté est alors de chercher à ce que tous soient d’accord avec une proposition, ce qui peut être très long et n’aboutir qu’à un compromis insatisfaisant. Pour éviter cet écueil, le groupe peut avoir tendance à ne pas exprimer de désaccords, de réticences, et dans ce cas c’est la position du leader qui s’impose sans discussion.

Dans une organisation sociocratique, les décisions d’orientation sont prises d’une autre manière, qui garantit à la fois l’efficience du travail collectif, et l’intégration de la voix de chacun à équivalence.

Les origines du mode de gouvernance sociocratique

Elles sont inspirées par les pratiques d’une société philanthropique anglo-saxonne, les Quakers. Elles ont été mises en œuvre aux Pays-Bas dans l’école d’un pédagogue audacieux, Kees Boeke (1884-1966). Gerard Endenburg a fait toute sa scolarité dans cette école puis est devenu ingénieur en électromécanique. Il a repris l’entreprise familiale et a voulu y adapter ce mode de fonctionnement.

Mais dans une entreprise, la sociocratie devait protéger les intérêts des toutes les parties prenantes, investisseurs compris, et garantir l’atteinte des objectifs de l’entreprise, sans dépendre de la qualité de confiance entre les employés pour prendre des décisions unanimes.

C’est pourquoi il s’est inspiré de la théorie des systèmes et a formulé des règles permettant l’auto-organisation d’une structure sociale. Il les a appliquées avec succès dans son entreprise depuis plus de 35 ans, et ses salariés ne renonceraient pour rien au monde à leur façon de prendre les décisions.

La sociocratie s’est particulièrement développée en Hollande et suscite des applications nombreuses ailleurs en Europe (en France notamment), en Amérique latine, aux états-Unis et au Canada.

Quel impact sur les organisations ?

Situation actuelle Objectif proposé

Autocratie

Résignation face aux abus de pouvoir ou conflit impuissant à produire une dynamique positive

Les actionnaires ont dans une entreprise le pouvoir d’imposer leur volonté

Associations manquant de méthodes compatibles avec leurs valeurs

Partage du pouvoir de décision

Possibilité de parler ouvertement des dysfonctionnements et de décider en équipe d’une solution

Les salariés et les clients ont aussi leur mot à dire et ne peuvent être écartés

Démarche d’évolution à travers des outils de management au service du projet collectif

Partager le pouvoir selon le principe d’équivalence permet de :

  • économiser beaucoup de temps et d’énergie dans la réalisation des missions de l’organisation, parce que les résistances ont pu être exprimées et ont été obligatoirement utilisées pour l’amélioration de la décision.
  • Instituer des lieux de parole qui fédèrent les talents de tous les membres de l’organisation au service de la vision commune et qui encouragent la formation et l’expression du leadership.
  • Rendre l’organisation plus créative par la définition de règles de fonctionnement qui satisfont les besoins de chacun. Cela permet une fluidité entre les différents niveaux hiérarchiques, chaque partie ayant sa mission indispensable pour l’ensemble.
  • Conforter l’autorité des responsables dans la mise en œuvre de la politique qui a été décidée par leurs équipes : les décisions de type opérationnel relèvent de la responsabilité de chacun, selon les mandats attribués par l’organisation.

Comment partager le pouvoir et transformer les relations entre humains ?

Le mode de gouvernance sociocratique ne vise pas à révolutionner la façon dont une organisation fonctionne au quotidien. Il est sain qu’elle dispose d’une structure efficace pour l’exécution, celle qui est codifiée par un organigramme. En revanche, ce qui pose problème, c’est que cette même structure serve aussi pour prendre les décisions, car ceux qui décident ne sont pas ceux qui auront à en gérer concrètement les conséquences.

C’est pourquoi il est intéressant de superposer à la structure d’exécution, une structure de prise de décision qui respecte certaines règles :

  • le cercle sociocratique comme lieu de prise de décision ;
  • le consentement (et non consensus) comme mode de prise de décision ;
  • le second lien entre deux niveaux hiérarchiques ;
  • l’élection sociocratique sans candidature préalable.

Vous trouverez l’explication de ces 4 règles sur le site internet du Centre Français de Sociocratie. La mise en œuvre de ces principes rétablit la communication du bas vers le haut de l’organisation, et réconcilie les besoins de l’organisation, des équipes et des personnes.

Les principes de la méthode sociocratique sont simples à comprendre intellectuellement, mais c’est autre chose de les vivre ! Pour y parvenir, on ne peut faire l’économie d’un développement des personnes et des organisations.

L’expérience nous apprend que ceux qui veulent rendre leur organisation sociocratique cherchent en fait à consolider et approfondir des pratiques empiriques déjà présentes. Ce qui change avec ce travail de l’organisation sur elle-même, c’est que les principes sociocratiques sont graduellement intégrés par l’ensemble des membres, en les vivant. La participation aux décisions ne dépend plus du style personnel d’un dirigeant, cela devient une autorégulation dans laquelle chacun est équivalent.

Bon à savoir

Les effets recherchés par ce mode de fonctionnement sont l’instauration d’une confiance entre les membres du cercle et la fiabilité des décisions prises.

On constate que le temps nécessaire à la prise de décision, à priori plus important que dans une organisation autocratique, est très largement compensé par la qualité de la décision et l’adhésion de chaque intéressé à celle-ci.

Mais il faut bien noter que le cercle est un lieu de prise de décision, pas de débat. Le rôle de l’animateur est donc essentiel et il se doit de maîtriser parfaitement le processus sociocratique. Le groupe doit en contrepartie respecter ses consignes. On constate également qu’une communication irréprochable (sans jugement, authentique et argumentée sous forme de besoins satisfaits et/ou non satisfaits) tend à rendre le processus encore plus efficient.

Thomas Marshall

Docteur en Sciences de la communication

Membre du cercle de direction du Centre Français de Sociocratie depuis 2011

Thomas Marshall

Responsable du Cercle de gestion du dispositif d’agrément