Une note proposée par Françoise Keller, http://concertience.fr, consultante agrée par le Centre Mondial de Sociocratie, membre du Centre Français de Sociocratie…

Vos commentaires, réactions, partages d’expérience sont bienvenues !

Deux récentes interventions en gouvernance sociocratique m’ont incité à clarifier les apports de la sociocratie dans la gestion du temps des personnes et des organisations. Voici quelques points qui me semblent essentiels.

La sociocratie conduit à un processus d’apprentissage individuel et collectif qui optimise progressivement le bon usage que nous faisons de notre temps et de notre énergie. Quelques exemples :

« Avec la sociocratie j’apprends à me taire. Avant je parlais beaucoup, j’ai encore besoin parfois d’apprendre à parler moins. Mais petit à petit je me sens plus en confiance et en sécurité dans le groupe et je fais l’expérience que je peux parler moins sans que cela impacte la qualité de nos décisions collectives. J’apprends petit à petit à vérifier pourquoi je veux parler et je pense à cette phrase : exprime toi seulement lorsque ce que tu as à dire est plus beau que le silence »

« Avant la sociocratie, je n’osais pas prendre la parole, je n’osais pas dire quand ce n’était pas clair pour moi, je n’aurais jamais osé dire que je n’étais pas d’accord avec ceux qui connaissaient mieux le sujet que moi. Après j’étais insatisfait et, parfois, je râlais après coup des décisions prises. La sociocratie m’a permis de développer ma confiance en moi. Lorsque je parle, je suis écouté. Lorsque je ne suis pas d’accord, mon objection est reçue comme un cadeau. Lorsque je suis confuse, je suis accepté dans ma confusion. Alors petit à petit j’ose m’exprimer et je découvre que c’est plus efficace de m’exprimer dans le groupe et que ça fait avancer notre groupe. »

« Nous avons fait un gros progrès. Lors de la première journée de formation, nous voulions traiter tout le sujet et nous perdions beaucoup de temps à discuter sur des sujets très complexes. Maintenant nous acceptons d’avancer pas à pas, de prendre le sujet par un bout et d’élaborer une proposition qui va traiter un sujet de manière concrète. Cela nous permet d’avancer et de sortir de discussions qui n’en finissaient pas et qui laissaient tout le monde insatisfait. »

La sociocratie conduit à prendre du temps pour en économiser plus tard. Quelques exemples :

Le tour de réaction, dans le processus de prise de décisions, permet un accueil de l’émotionnel, des frustrations, des peurs, des résistances, des préférences, qui, habituellement, ne sont pas exprimées et surtout pas écoutées et accueillies. On constate que ce tour de parole, où chacun est accueilli avec ce qu’il vit, permet de gagner beaucoup de temps après. Notre plus grand besoin est d’être écouté et accueilli. Lorsque nous avons été entendus dans nos peurs, par exemple, nous pouvons être dans l’ouverture, contribuer au collectif, passer du JE au NOUS.

Les prises de décision collectives sont perçues par beaucoup comme une perte de temps. J’aime à relever, dans les expérimentations, les tentations de retour à l’autocratie ou à la démocratie, pour aller plus vite ! C’est oublié le coût et la perte de temps dans les organisations lorsqu’une décision ne tient pas compte des limites des personnes qui doivent l’appliquer : « on ne fait pas ce qu’on a décidé », « les personnes ne respectent pas leurs engagements », « les salariés sont démobilisés et démotivés », « il y a beaucoup d’arrêts de travail dans notre organisation », « je passe 20 % de mon temps à régler les conflits entre mes collaborateurs », « en ce moment je n’ai pas de temps car je dois renouveler une partie de mon personnel », « les jeunes passent beaucoup trop de temps à s’occuper de leurs affaires personnelles au travail »…

La sociocratie propose des outils qui permettent objectivement de gagner du temps :

La structuration en cercles : la structuration en cercles, dont les mandats sont clairement définis, permet de gagner du temps ; une association de 30 personnes par exemple a accepté l’idée de se structurer en cercles et a fait le deuil que toutes les décisions soient prises tous ensemble, pour optimiser le temps de chacun et l’association observe que la qualité des décisions demeure.

Les processus de tour de parole : faire circuler la parole en cercle évite les pertes de temps des dialogues en ping-pong entre deux participants, facilite l’expression de chacun

Les étapes de processus : il suffit d’expérimenter une fois l’oubli d’une étape pour observer l’intérêt de chaque étape dans la gestion du temps. Deux exemples, le fait de clarifier les rôles et qualités d’un mandat pour une élection permet de gagner beaucoup de temps dans le choix de la personne ; le fait de faire un tour de réaction où chacun exprime ce qu’il apprécie dans la proposition aide le porteur de la proposition à accueillir les objections

L’invitation à formuler des propositions pour transformer les situations : l’un des points clefs de la sociocratie est que le cercle de décision se réunit pour traiter des propositions, portées par des personnes, et non des problèmes. J’observe que ceci fait gagner du temps : on ne passe plus du temps à travailler sur un sujet que personne n’accepte de prendre en charge ; on arrête les discussions, les comparaisons de solutions (avantages et inconvénients de toutes les solutions possibles) et on mobilise notre énergie et notre temps sur une poste que nous sommes capables de mettre en œuvre. Tant et tant de temps perdu dans les conseils d’administration, les réunions de direction, évité avec la mise en œuvre d’une gouvernance sociocratique.

Le processus de médiation permet de gérer les conflits d’une manière nouvelle, en sortant de la personnalisation du conflit et en permettant à l’ensemble du collectif d’apprendre de la situation ; ce processus permet, dans certaines situations, de gagner un temps précieux à la fois de régulation de conflit et d’apprentissage du groupe.

Le fait que le cercle soit préparé et géré par plusieurs personnes, dont l’animateur garant du processus et du temps (il peut déléguer la gestion du temps à un gardien du temps) est un bon garde fou pour mettre de la conscience sur les choix que nous faisons en gestion du temps. La question en effet n’est pas tant d’aller plus vite que de faire consciemment des choix de l’utilisation du temps que nous nous donnons. Des phrases du genre « Nous sommes en train de sortir du processus pour un dialogue entre A e B qui sont d’avis opposés. Est-ce vraiment cela que nous voulons faire maintenant, sachant que ceci peut nous empêcher de prendre une décision aujourd’hui ? » sont très aidantes pour remettre de la conscience sur notre manière de gérer le temps.

Enfin, nous pouvons formuler quelques conseils :

La sociocratie est un moyen et non un objectif : apprenons à décider de manière sociocratique de sortir du modèle lorsque ce modèle n’est pas efficace ! En faisant cela, nous fonctionnons toujours de manière sociocratique.

Attention au dogme du consentement ! Lorsque j’anime une formation, par exemple, j’entends souvent dire « Mais là vous nous imposez les règles du jeu de cet exercice. Ce n’est pas très sociocratique ! ». Eh bien, si, je l’affirme, c’est tout à fait sociocratique : en tant que formateur, je reçois un mandant d’animer une formation pour atteindre des objectifs de formation et j’ai l’autonomie pour réaliser ce mandat, avec mon savoir-faire et mes compétences. Je pourrai être régulé par mon client si je n’atteins pas les objectifs mais, à l’intérieur, des objectifs contractuels, je fais des choix qui ne relèvent pas d’un fonctionnement par consentement.

Prendre en compte le réel. Si nous avons 2 heures de temps, vous avons 2 heures de temps et nous faisons du mieux que nous pouvons dans ce temps. Ne gâchons pas notre temps à imaginer ce que nous pourrions faire si nous avions 4 heures par exemple !

Attention à limiter l’objet du cercle à des décisions stratégiques qui relève du mandat de ce cercle ! J’observe que, lorsque les personnes découvrent le consentement, elles adorent jouer à cela et aimeraient l’utiliser tout le temps. C’est si plaisant et agréable de décider à plusieurs, de goûter à l’intelligence collective, de s’exprimer et d’écouter les autres ! Le risque alors est grand de passer notre temps en cercles de décisions pour des questions opérationnelles… Et le risque est grand d’abandonner la sociocratie car on perd trop de temps. La sociocratie nous incite à perdre du temps de concertation pour des sujets qui en valent la peine et à déléguer les choix qui sont de l’ordre de l’exécution. C’est une question de perception des enjeux. Il peut être par exemple fort utile de définir de manière collective les critères de choix de nos fournisseurs (équilibre entre critères économiques et par exemple éthiques et développement durable). Il ne serait pas judicieux de choisir par consentement le fournisseur de papier, le fournisseur de cartouches d’encre et le réalisateur de notre site internet. Pour moi, un critère est le rythme des réunions : un groupe qui se réunit tous les 15 jours traite a priori surtout de questions opérationnelles ; un groupe qui se réunit 4 fois par an avec un ordre du jour préparé par des commissions a plus de chance d’être un réel cercle de décision. Toutes les variantes existent mais soyons vigilants !

 

J’aime bien, pour finir, citer S Covey dans « Priorité aux priorités » qui fait la distinction entre notre « cercle de préoccupation » et notre « cercle d’influence ». Le cercle de préoccupation concerne tous les sujets qui nous intéressent. Si nous n’y prenons pas garde, nous perdons beaucoup de temps dans nos organisations à nous préoccuper du cercle de préoccupation. Il me semble que la sociocratie nous incite à mobiliser notre attention sur le « cercle d’influence », c’est-à-dire les sujets sur lesquels nous pouvons agir, qui font partie de notre mandat. S Covey montre que, plus nous mobilisons notre temps et notre énergie, sur les cercles d’influence et plus nous développons notre influence, notre puissance et plus nous utilisons notre temps pour des choses utiles, en lien avec notre mission.

 

Je finirai par cette conclusion « Nous avons le choix : faire du mieux possible dans le temps que nous avons ou faire le plus possible dans le temps qu’il faudra »…

 

A vous de choisir !